Exposition « Aspiration au voyage »
Par Philippe CHARVEIN
Le musée GAUGUIN accueille l’exposition intitulée « ASPIRATION AU VOYAGE ». Exposition déclinant précisément les multiples formes que peuvent prendre tous ces désirs qui nous animent en tant qu’individus : désirs d’évasion ; de rencontres avec les autres et avec soi ; désirs de plaisirs et de découvertes ; désirs de s’approprier (de s’accaparer) ; désirs de connaissances intérieures…Autant de possibilités, pour l’individu, d’accéder à une autre réalité, plus en accord avec sa conception personnelle du bonheur.
Cependant, avant même d’entrer dans le cœur même de cette exposition, nous remarquons que le « A » sur l’affiche faisant la promotion de l’évènement est retourné, inversé (au point de former un « V ») comme pour suggérer d’emblée que le « voyage » est perçu comme une rupture avec le réel.
Sous le pinceau et le crayon des artistes conviés, nous sommes invités à apprécier l’art (la peinture) comme un voyage, justement. Voyage vers un monde désarticulé, déconstruit, traversé par l’irréalité ou le cauchemar ; un monde où la poésie et la beauté essaient, malgré tout, de se frayer un chemin.
Les lignes qui suivent restitueront l’essentiel de cette exposition articulée, précisément, autour de ces diverses techniques employées afin de faire ressortir ce monde moderne qui est le nôtre . Un monde qui est envisagé selon un regard à la fois sarcastique, amusé et critique ; à la recherche d’une certaine beauté ; d’une certaine poésie ; d’une certaine vérité intime et profonde.
La technique picturale employée par Isabelle PIN, relève du Pop Art ; ce mouvement qui met en évidence – dans une perspective satirique – les éléments de la société de consommation. Force est de constater que cette satire se remarque dans toutes les toiles proposées par l’artiste ; que ce soit à travers l’évocation d’une route encombrée de voitures ; la pluralité des lieux ou encore l’inflation alimentaire. Sans multiplier les exemples, remarquons, dans la toile intitulée « Monuments hystériques », un kaléidoscope des clichés (ces lieux qu’il faudrait impérativement voir à tout prix) matérialisé par des collages à valeur humoristique. L’adjectif qualificatif « hystériques » suggère bien, d’ailleurs, cette transe, cette folie qui gagne l’individu…avide de tout photographier de manière irraisonnée. L’inflation alimentaire, pour sa part, est d’abord suggérée par ce sigle énigmatique « O.D. ». Sigle qui traduit, en effet, l’overdose à grande échelle. Cette overdose – vaste hyperbole – qui détruit la toile en question tout en mettant en évidence une société poussée aux excès, se détruisant elle-même par l’exaspération de ses propres modes d’existence.
Après le plaisir gustatif porté à l’extrême, place à la « Bronzette à la plage ». Une autre toile d’Isabelle PIN où nous distinguons trois corps féminins allongés…Peut-être quatre, si nous tenons compte des chevilles croisées sur la gauche. Un élément signifiant s’impose d’emblée à nous : ces corps – et non les visages (symboles d’identité) que nous ne voyons pas – s’imbriquent presque les uns dans les autres, constituant ainsi une masse informelle. En lieu et place de visages, donc, des corps…des formes géométriques, matérialisées par les jambes relevées de la femme allongée sur la serviette rouge ; les bras en forme de triangle et le dos des deux femmes allongées derrière…Autant de formes et de corps qui suggèrent un « ensemble » plutôt qu’une humanité caractérisée par une réelle identité…Evocation de corps « désarticulés », presque déshumanisés, portée, de manière sensible, par un graphisme net. Sans doute s’agit–il, pour l’artiste peintre, de figurer la désarticulation de notre monde moderne.
« Bonnes vacances » : titre de cette dernière toile d’Isabelle PIN. Titre qui s’impose d’emblée dans toute sa charge ironique étant donné la scène représentée. A l’arrière-plan, une voiture, chargée, encombrée de valises, est sur le départ. Au premier plan… des animaux de compagnie – ayant encore leurs laisses respectives – livrés à eux-mêmes et comme « aplatis » sur le bitume.
N’y aurait-il pas une référence au peintre Paul GAUGUIN à travers ces chiens peints en jaune et rouge ? Ces mêmes couleurs qui, du reste, ne sont pas sans rappeler le fauvisme (mouvement pictural ayant fait le choix des couleurs vives). Apprécions, à cet égard, l’humour et le regard sarcastique de l’artiste peintre mettant précisément en évidence des… « fauves » devenus encombrants pour leurs propriétaires au moment des vacances.
S’agissant de la toile intitulée « Rencontre », nous sommes sensibles à ce qui s’apparenterait au procédé propre aux « comics » (aux bandes dessinées) ; en témoignent ces vignettes qui mettent en évidence des visages d’hommes et de femmes de nationalités et d’origines différentes. Sans doute s’agit-il pour Isabelle PIN de figurer ce qui donne son prix à la condition humaine : son unité. Unité pleinement palpable dans les regards qui, quelle que soit la perspective, ne nous quittent pas des yeux… nous prenant presque à témoin.
Après l’univers d’Isabelle PIN, place à celui d’Hélène JACOB, marqué en profondeur par la poésie de Charles BAUDELAIRE.
Dans la première toile qu’il nous est donné d’apprécier et dont le titre est « Balade avant la nuit », nous sommes surtout sensibles à l’évocation d’un voyage avant tout onirique, ainsi que le laisse précisément entendre le titre choisi par l’artiste peintre. Un voyage dans une Venise mythique, en témoignent ces multiples couleurs, de même que ces fleurs – des tulipes – stylisées. Ces tulipes symbolisent, en effet, l’un des motifs de la beauté par excellence… beauté qui favorise la rêverie des personnes présentes sur le pont et dont on devine qu’elles sont « prises » au cœur de leur « balade » intérieure ; captivées qu’elles sont par le charme des lieux. Pour Hélène JACOB, le plus important, en effet, est de figurer une sorte de songe nocturne ; avec la représentation de ces panneaux – tableaux – qui se superposent et s’articulent autour de ces fleurs…belles parce qu’irréelles, s’imposant dans toute la vitalité de leur irréalité. En plus des tulipes, l’artiste peintre a, semble-t-il, représenté des iris. Fleurs qui ne sont pas sans rappeler celles de Vincent VAN GOGH, comme pour mieux nous inscrire au cœur d’une beauté « irréelle ». Tout concourt ici à la diffusion permanente d’une beauté qui se dégage d’abord d’une ville rêvée… Une ville que l’on ne peut appréhender que par le biais d’un voyage plus…intérieur.
Autre toile d’Hélène JACOB, de forme rectangulaire, celle-ci et qui nous surprend d’emblée par un effet d’emboîtement entre le langage (les vers poétique) et la peinture, en tant que telle…Comme si le voyage était d’abord un dialogue entre les arts.
La forme rectangulaire de la toile – à l’instar d’une pellicule de film se déroulant sous nos yeux – prend, dès lors, une charge symbolique dans la mesure où elle figure cet « allongement » du bonheur et des sensations vitales au moyen duquel la jeune fille représentée se «noie» volontairement dans son propre rêve et dans les films qu’elle se passe dans la tête et qui constituent son propre voyage. Cette jeune fille qui, dans le même temps, accède à une pleine expression du mouvement, à une certaine éternité. Y aurait – t – il ici, chez Hélène JACOB, une vision cinématographique du monde à travers cette évocation d’un itinéraire onirique enchâssé dans les mots et se « développant » par la peinture ?
« Calme, Luxe et Volupté », du nom de cette autre toile d’Hélène JACOB. Un titre qui rappelle d’emblée l’un des vers de BAUDELAIRE insistant sur cette destination « magique » à valeur d’idéal. Force est de constater que l’intérieur riche et coloré dans lequel nous sommes invités , récapitule parfaitement l’atmosphère baudelairienne. Remarquons, par exemple, la présence de ces meubles polis par les ans. Remarquons également cette harmonie ambiante au niveau des tons : les carreaux pour la plupart bleus–trouvant une correspondance avec la robe bleue de la jeune fille représentée et les vitraux ; la couleur orange des rideaux torsadés trouvant un écho à travers le rouge de la devanture située derrière le grand tableau représentant une femme nue saisie de dos ; l’arrière-plan jaune de celui-ci répondant au jaune de la devanture dorée ; le sofa (sur lequel repose la jeune fille) parsemé des couleurs émanant des carreaux ; l’animal de compagnie presque fondu dans l’ensemble… Autant d’éléments qui matérialisent une harmonie propice à la rêverie et au voyage vers l’ailleurs ; peut-être symbole également de bonheur. Le tableau présent dans la pièce n’est pas sans nous interpeller : s’agit–il d’un tableau ou d’un miroir ? Un tableau représentant une personne – une femme – dans un miroir ? Le plus important, sous le pinceau de l’artiste peintre, est peut-être cette « correspondance » entre la sensualité et une certaine spiritualité ; spiritualité rendue sensible par la couleur bleue. Il est intéressant de remarquer, enfin, que cette toile nous permet de… voyager dans la mesure où elle nous inscrit dans une certaine filiation ; Hélène JACOB nous proposant « sa » version de ces vers de BAUDELAIRE ; laquelle version fut précédée par celle d’Henri MATISSE datée de 1904. Occasion, pour nous, d’apprécier les partis pris différents en termes de choix esthétiques.
« Le pays de Cocagne », du nom de cette autre toile d’Hélène JACOB. Là encore, un motif poétique – une ville indéterminée en Occident en l’occurrence – prend forme sous le pinceau de l’artiste peintre…Une Venise rêvée. Une grande ville qui baigne dans une atmosphère teintée d’irréalité et d’absolu.
Est-ce une manière, pour Hélène JACOB, de figurer le mystère propre à l’endroit ; un endroit qui serait capable de se renouveler et de surprendre en permanence ? Le pont que nous avons sous les yeux attire, par exemple, notre attention : s’agit-il du pont Rialto?Force est de constater, à cet égard, que celui-ci met en évidence une eau magique; saisie, non seulement dans toute sa longueur, mais également traversée d’énergies internes ? Une nouvelle Venise ? Une nouvelle ville célébrant l’amour dans ce qu’il a de plus pur et de plus intense ? La présence de l’embarcation – une gondole ? – est de nature à confirmer cette idée. Il est intéressant, enfin, de remarquer que cette toile englobe le langage (restitué par les vers écrits à l’intérieur)… Nouvelle illustration, chez Hélène JACOB, de ce dialogue des arts, comme pour mieux figurer cet hymne à l’amour… amour d’autant plus intense qu’il a pour cadre une ville rêvée.
Deux autres toiles d’Hélène JACOB s’imposent ensuite à notre regard. Toiles regroupées sous le titre « Extrait de mon carnet de voyage ». Deux faits notables méritent d’être relevés d’emblée. Notons d’abord l’absence de l’humain en tant que tel…seulement évoqué métonymiquement à travers le sac et le matériel d’écriture. Relevons ensuite l’aspect formel de ces réalisations rappelant des…pages de papier arrachées et suspendues rapidement au mur…comme pour exposer un programme à suivre. D’un point de vue artistique, c’est l’objet qui forme le cadre. S’agit-il, pour Hélène JACOB, de marquer la priorité accordée aux voyages, aux découvertes dont les richesses sont préfigurées métonymiquement par la carte de voyage et la fenêtre ouverte ? La fenêtre qui ouvre sur un monde lointain. Apprécions également ce jeu de mot dans le terme « Départ » mettant en avant le terme « Art ». L’art dans toute sa diversité, symbole en lui-même de voyages et de liberté. Le « Départ » en lui-même est déjà le lieu du dépaysement ; le moment de tous les possibles ; le moment du voyage intérieur précédant le voyage qui sera entrepris à l’extérieur. Sur la toile consacrée à Madrid, en effet, nous voyons associés l’écriture (le calepin et les stylos) et le dessin (les formes humaines)… illustration d’un art aux multiples formes permettant une rencontre efficiente, une échappée vers l’ailleurs.
L’autre toile d’Hélène JACOB « Il a neigé sur East River ») pourrait s’imposer comme la suite des deux précédentes dans la mesure où elle laisse voir une humanité dans ce qui s’apparenterait à une… salle d’attente…en attente d’un « nouveau départ » justement, après une période d’arrêt ou de paralysie occasionnée par la neige (que l’on ne voit plus du reste).
L’élément notable, dans cette toile, réside dans la présentation de ces cadres dont la plupart – colorés, certes – restent… « vides », comme s’ils restaient précisément à combler ; comme s’ils attendaient d’être comblés par les individus qui se voient offrir les possibilités les plus diverses. Aspirations au voyage dans ce qu’il a de plus enrichissant donc, de là la présence de ces cadres restant à agencer.
Dernière toile d’Hélène JACOB : « Voyage devant l’éternel » ; un portrait de l’exploratrice– artiste Alexandra DAVID-NEEL ; laquelle s’est rendue au Tibet, l’une des régions du monde les plus hostiles en termes de températures négatives. Et pourtant…Et pourtant, aucune trace de souffrance sur ce visage sobre – presque souriant – regardant avec confiance droit devant lui. Un visage porté par un corps saisi dans toute sa verticalité et occupant toute la toile…attitude caractérisée par la détermination, chez cette femme, de rester debout et de poursuivre son périple.
Exploit et humilité : deux mots qui caractérisent Alexandra DAVID-NEEL. L’exploit, d’abord, symbolisé par toutes ces constructions, à l’arrière-plan, qui matérialisent toutes les contrées visitées par l’exploratrice…et qui donnent l’impression d’être « portées », « rassemblées » dans sa hotte.
Le bâton que cette dernière tient, par ailleurs, dans sa main gauche, constitue l’un des bords de la toile d’Hélène JACOB. D’un point de vue artistique et symbolique donc, Alexandra DAVID-NEEL a, par son action, contribué à donner une assise au monde (un monde qu’elle a contribué à faire connaître en explorant les confins de celui-ci).
L’humilité, pour sa part, réside dans le vêtement qu’elle porte…une sorte de grand « peignoir », dérisoire, on l’imagine, lorsqu’il s’agit de résister à des températures négatives. Contrecarrant l’image associée au bâton, le bol tenu dans la main droite : image d’une femme qui tire sa subsistance de l’aumône récoltée auprès des personnes croisées sur la route.
Après les toiles d’Hélène JACOB, place aux sculptures de Chantal NOTTRELET. Sculptures qui nous invitent à un voyage…au plus profond de notre être. S’agissant de notre être, précisément, deux faits semblent notables pour l’artiste sculptrice. D’abord, son unité intérieure indéniable qui prend la forme d’une ébauche, d’une promesse de fleur, en témoigne cette réalisation intitulée « au fond de soi » qui représente, en effet, une sorte de fleur entourée d’un cercle d’or… Illustration artistique de cette part morale – part essentielle de nous-mêmes, archétype de toutes les floraisons nous apportant les éclosions vitales nécessaires à un épanouissement effectif.
Une protection évidente, ensuite, en témoigne cette autre sculpture « Mon âme et moi » dont la particularité est de reposer sur une construction complexe : une sorte de « main » autour d’un « abdomen » ; premiers éléments rehaussés d’une forme – enfantine ? – recroquevillée, à l’abri dans un espace protecteur. Une forme qui semble réfléchir ; de là la « main » de pierre posée sur le menton. Sans doute s’agit-il, pour la sculptrice, de matérialiser l’ébauche d’une pensée qui serait l’âme.
Après les sculptures de Chantal NOTTRELET, notre attention se porte sur la grande toile « Lespwineg », de Jérôme SAINTE-LUCE. Le titre, en lui-même, marque le retour aux arts primitifs. Retour matérialisé par ces figures totems d’origine africaine ; figures totems rappelant également, toutefois, les pétroglyphes de Martinique et de Guadeloupe. Toile des origines multiples, donc, matérialisées d’ailleurs par la forte prédominance du jaune. Des figures énigmatiques émergent de ce jaune originel à qui elles confèrent leur dynamisme vital.
Remarquons, à cet égard, ces projections à tel ou tel endroit, restituées par l’orange et le rouge. Remarquons également ces autres figures mises en évidence par la couleur bleue…Manière, pour l’artiste, de souligner la vitalité d’une histoire, d’une généalogie se renouvelant en permanence. Une vitalité qui, paradoxalement, se déploie dans un fouillis, un chaos ambiant…Illustration d’une mémoire « flottante » qui se cherche encore (après avoir été occultée) et qui permet une identité spirituelle.
Une certaine circularité est à l’œuvre, comme le souligne cet embranchement au moyen duquel ces figures restent unies, communiquent. Il est intéressant de remarquer que le lien – sorte de « tuyau » – visible au-dessus de la tête de l’être fabuleux, prend sa source dans le jaune originel. Jérôme SAINTE-LUCE figure ainsi l’apport nourricier permanent contribuant précisément à ce dynamisme vital actuel.
Les toiles marouflées de Garance VENNAT s’offrent ensuite à notre regard. La première d’entre elles est intitulée « Rencontres »… « Rencontres » au pluriel, à la différence de la toile d’Isabelle PIN. Nous sommes donc invités à « rencontrer » six individus aux expressions contraires…six visages reflétant autant d’intériorités…six visages reflétant…l’«âme» de ces personnes. Cette toile de Garance VENNAT a ceci de particulier qu’elle semble s’imposer comme une étude – artistique – sur la psychologie humaine ; sur cette intériorité morale donnant sa spécificité à chacun. Fatigue traversée d’amertume, timidité, rire contraint, aspect détaché ou faussement détaché, méfiance, intérêt mâtiné d’une pointe d’amusement…Autant de manifestations de l’humain, finalement plus nombreuses qu’il n’y paraît, en témoignent tous ces tracés et autres constructions au crayon semble-t-il ; comme si l’artiste voulait ainsi figurer cette… « toile » commune ; ces « flots » rassemblant les êtres humains ; tissant des liens entre eux, même à travers leurs différences…Parchemin racontant la condition humaine dans ses spécificités, en fait : voilà ce qu’est cette toile de Garance VENNAT.
La même remarque peut s’appliquer à cette autre toile de l’artiste intitulée « Le chat ». Sur cette toile, nous voyons un chat… assis et… environné de rats. Curieuse attitude que celle de ce chat, presque « amusé » par le spectacle qui se déroule à ses côtés et qui ne course pas ses proies habituelles. Sans doute ne le peut-il pas et pour cause : il n’appartient pas au même monde que celles-ci. Là nous est donné l’occasion d’apprécier le parti pris esthétique de Garance VENNAT : le procédé du collage ; la réalisation d’une toile (celle du chat) surimposée par-dessus celle représentant les rats.
La matérialité appuyée du chasseur à quatre pattes – restituée d’ailleurs par la couleur marron – ne lui est dès lors d’aucun secours dans la mesure où il ne peut accéder à l’autre univers. Est -ce une manière, pour Garance VENNAT, de figurer la solitude du chasseur, de même que le caractère irréconciliable de deux espèces que tout oppose ; deux cultures irrémédiablement fermées l’une vis– à-vis de l’autre ? Le voyageur est-il ce vain chasseur d’images ou de sensations, à moins qu’il ne soit un « prédateur innocent » préférant capter le monde plutôt que de le dévorer ?
Autre univers : celui de Sandrine ZEDAME. Univers déconcertant, étrange, énigmatique, nous obligeant à nous questionner sur les limites du réel. La première toile qui s’impose à nous est intitulée « Dédale ». Non pas le dédale du Minotaure, mais le dédale symbole de relations, de connexions… de rencontres… chaque escalier pouvant être à l’origine d’une rencontre. Est-ce là l’objet de la rêverie de l’être assis sur les marches de l’un de ces escaliers ? Pense-t-il au kangourou – en attente à l’étage inférieur – qui, dans peu de temps, l’emportera sous d’autres cieux, par-dessus les arcanes que l’on voit actuellement ?
L’une des autres toiles qui s’imposent à nous ensuite est précisément celle où l’on voit un
kangourou rouge transportant dans sa poche l’être habillé de vert – sans doute un enfant – vu précédemment. Belle illustration métaphorique du voyage tel qu’il est perçu par un enfant ! Apprécions, précisément, les caractéristiques propres à l’univers de l’enfance. Ce moyen original de transport, d’abord : un kangourou au moyen duquel il est possible de dépasser les frontières – rapprochant, au passage – deux rives opposées ; de concurrencer le voilier aux voiles blanches, situé fort à propos au-dessous de l’animal. Il est, à cet égard, intéressant pour nous, d’apprécier cette variation moderne du Merveilleux voyage de Nils Holgersson nous inscrivant précisément au cœur de la poésie du voyage ; de l’enfance.
La « fantaisie » du décor justement, propre à l’imaginaire de l’enfance, est manifeste, en témoignent ces contrées géographiques transformées en animaux (qui ne demandent pas mieux que de pouvoir se rencontrer). Le soleil est-il obligé d’être jaune, par ailleurs ? Non, si l’on s’en tient à l’aura verte qui l’enveloppe…balise céleste du bonheur.
« A l’air libre », du nom de cette autre toile de Sandrine ZEDAME… Magnifique toile qui nous invite également à prendre en compte une certaine poésie mystérieuse, matérialisée par un spectacle insolite : celui d’un être vivant – un habitant de la nature (humain ou animal ?) – en train de dormir paisiblement sur un lit… au cœur d’une forêt dense. C’est la nuit, mais la lumière émanant de la lune – à l’instar d’un projecteur – jette un halo de sérénité sur le dormeur en question.
Il nous faut apprécier la charge symbolique de cette toile, la lumière de l’astre révélant l’intériorité – vivante – de la forêt, en témoignent, par exemple, ces arbres magiques à la végétation dense, rapprochés les uns des autres dans un même mouvement protecteur. La lumière de la lune, par ailleurs, irradiant certains feuillages, met au « jour », si l’on peut dire, une vie intense et protectrice. Univers de l’enfance articulé autour du sens de l’émerveillement. N’est–ce pas, précisément, l’une des acceptions centrales du voyage : cette capacité d’émerveillement face à la poésie du monde ?
Terminons cette relation par la réalisation de Marie ALBA intitulée :
« Peinture sur mannequin »… Illustration de cet art moderne, fondé également sur le procédé du détournement et la mise en scène. Nouvelle version (cocasse et tragique) de la statuaire. Deux faits s’imposent d’emblée dans leur charge symbolique. L’absence de tête, d’abord, qui marque la tragédie de l’échéance ultime. A moins qu’il ne s’agisse, pour l’artiste, de figurer une humanité déshumanisée ? Ces végétaux, ensuite, sur le torse et sur l’espace réservé à la tête, soulignant, malgré tout, la permanence de la vie, de ces connexions et embranchements vitaux marquant la présence de celle-ci… La permanence d’une conscience qui continuerait à réfléchir ? Que dire, enfin, de cette valise et de ce bras droit tendu dans notre direction, si ce n’est qu’ils illustrent le désir de poursuivre la route ?
Philippe CHARVEIN, le 15/07/2022
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