VISIBILITE IV, du nom de cette nouvelle exposition d’Hélène JACOB, visible au restaurant « Alsace a kay ».
Hélène JACOB, en effet, poursuit son travail consistant à offrir une…visibilité, justement, à des femmes méconnues ou tombées dans l’oubli. Des femmes qui, pourtant, ont marqué leur époque ; que ce soit par leur engagement en faveur des causes importantes ; les inventions dont elles sont à l’origine ou leur désir de prendre en main leur existence. Le défi esthétique du portrait est manifeste puisqu’il s’agit, pour l’artiste peintre, de condenser une destinée hors pair ; de mettre en valeur les éléments par lesquels ces femmes se sont transcendées et ont donné sens aux rêves qui les habitaient.
Une série de portraits de femmes s’offre ainsi à nous…comme autant de déclinaisons d’une présence agissante au cœur d’une société peu encline parfois aux élans progressistes…comme autant de déclinaisons d’un regard où transparaît le désir d’exister, d’œuvrer pour une réalisation commune.
Visibilité également pour des femmes anonymes, sortant précisément de l’anonymat grâce au pinceau de l’artiste peintre. L’artiste peintre qui explore et expose les potentialités de chacune d’entre elles, nous inscrivant, par conséquent, dans une esthétique de la célébration, de l’hommage.
Les lignes qui suivent restitueront l’essentiel de cette exposition centrée autour d’une multitude de portraits féminins…Evocation, en fin de compte, d’une humanité elle-même riche et variée ; s’enrichissant de tous les « regards ».
L’une des premières toiles qui s’imposent à nous est celle qui présente le portrait de Moira MILLAN (activiste argentine) luttant pour la défense de la terre. Nous la voyons en tenue traditionnelle, probablement assise. Cette tenue traditionnelle en elle-même est importante dans la mesure où elle marque d’emblée la fierté de cette femme respectant et affichant ses origines, de même que sa volonté de défendre les intérêts de son peuple. La défense de la nature et de la terre, constitue, précisément, l’un de ces intérêts majeurs, en témoigne cet arbre « extraordinaire » qui se trouve à sa gauche. Arbre d’autant plus « extraordinaire » qu’il est un symbole réussi d’une intégration parfaite : celle de la vie (la présence humaine illustrée par ces maisons) trouvant sa place dans le vivant. Le vivant qui se déploie et se décline en une multitude de volutes colorées ; symbole d’une terre fertile et prospère. L’élément fondamental, à ce niveau, est la proximité immédiate de Moira vis-à-vis de cette terre qu’elle aime tant. Une proximité et un amour qui semblent « imprégner » sa peau elle-même, en témoigne cette couleur « pâle » qui rappelle celle du tronc de l’arbre ; comme un partage de vitalité.
L’arbre, justement, donne l’impression de jaillir du bras gauche de la femme ; une sorte d’excroissance colorant le lointain de ses nombreuses potentialités vitales. Est– ce une manière, pour Hélène JACOB, de matérialiser un amour quasi charnel entre Moira et la terre qui l’a vue naître ? Que penser de son visage, si ce n’est qu’il évoque une confiance manifeste en un avenir fertile en floraisons ; avenir dont les premiers signes sont matérialisés par ces pétales rouges qui se disséminent déjà aux quatre vents ?
Après le portrait de Moira MILLAN, notre attention est attirée par celui de Valérie THOMAS, scientifique de son état. Valérie THOMAS dont le visage souriant est saisi alors qu’il se trouve à proximité immédiate d’une entité bleue qui symbolise l’inconnu cosmique…un inconnu qu’elle a grandement contribué à faire connaître par ses découvertes. Les inscriptions (chiffres et lettres) que nous distinguons, suggèrent en effet cette connaissance à laquelle l’humanité a pu accéder grâce à l’apport de cette scientifique…se rapprocher de ce qui, jusqu’alors, demeurait abstrait et éloigné.
Valérie THOMAS, elle-même, accède à une autre dimension, à une sorte d’aura supérieure, en témoignent, par exemple, ses cheveux d’un bleu sidéral. Remarquons, également, l’univers qui est le sien ; un univers aux multiples colorations ; aux multiples projections ; symbole d’un désir manifeste de connaissances. Que dire de sa posture, si ce n’est qu’elle traduit – elle aussi – une sérénité appuyée vis-à-vis de cet inconnu certes proche, mais qui reste à explorer ?
Les deux mains clairement visibles et posées sur une surface blanche, suggèrent symboliquement et artistiquement la présence d’une femme qui – paradoxalement – est ancrée dans sa réalité; une femme qui demeure accessible, en témoigne également ce large sourire – plein d’humanité – qui la caractérise. Ce large sourire qui porte la joie de la connaissance, de la découverte ; ce plaisir heuristique de la chercheuse, heureuse de contribuer ainsi à l’avancée de la connaissance .
Trois portraits de femmes s’offrent ensuite à notre regard. Les « 3 J » (Jocelyne BEROARD, Joséphine BAKER, et Jenny ALPHA). Trois femmes élégantes – trois artistes – évoluant dans un monde coloré qu’elles contribuent, précisément, à irradier de leur présence. L’élément fondamental, ici, est peut–être l’expression d’une « féminité » différente : tout en retenue sur celle qui – des années plus tard – deviendra l’égérie du groupe KASSAV ; plus marquée chez Jenny ALPHA, matérialisée, notamment, par ce large sourire et ce décolleté offrant une touche de sensualité ; plus artistique (rappelant l’univers du music– hall) chez Joséphine BAKER dont les vêtements suggèrent d’emblée la volonté de se démarquer, de « choquer », de refuser certaines conventions.
Trois regards posés sur un horizon différent (qui nous est inconnu) et qui pourtant marquent une même détermination : être ; regarder dans les yeux ; sourire à la vie et à ce que sera demain.
Après le portrait des « 3 J », celui de Wangarii MAATHAIE (surnommée « La mère des arbres »), prix Nobel de la Paix, s’offre à nous. Quelques éléments prennent d’emblée une valeur symbolique manifeste. Ce visage souriant, d’abord, occupant toute la toile…presque rehaussé, couronné par cette vaste coiffe bleue qui lui donne une dimension d’absolu. L’arrière–plan, ensuite, attire notre attention puisqu’il figure un univers de joie essentiel rendu par l’emploi de ce rouge vif. Sous le pinceau d’Hélène JACOB, c’est la nature elle-même qui est métamorphosée, récapitulant en elle tout l’engagement de cette femme en faveur des arbres ; en faveur de la vie en somme qui s’exprime par le moindre de ses membres. Belle rencontre entre le bleu de la coiffe – bleu de l’éternité première et des origines – et le rouge intense de la vie marquant l’exubérance – vitale – d’une nature chère à cette femme ; laquelle représente une totalité heureuse. Totalité qui, d’une certaine manière, est récapitulée symboliquement par l’écharpe colorée s’imposant comme un lien qui rapproche l’humain du vivant.
Le portrait de Gaura DEVI – cette militante indienne – s’inscrit dans la même optique dans la mesure où cette dernière se fond littéralement dans l’arrière-plan végétal. Notre regard est tout de suite captivé par cette grande toge qui se « dédouble » comme pour mieux dédoubler la présence de celle qui la porte. Gaura DEVI serait-elle une sorte d’« esprit de la forêt », une sorte de présence mystérieuse car redoublée ? Sur le visage, nous observons une certaine expression soucieuse (pleinement humaine) motivée par l’état de la nature ; cette nature que l’on brutalise. Mais le plus important est tout de même cette ample présence formelle qui se confond avec les éléments de la végétation…Illustration artistique de l’engagement de cette femme qui « embrasse » la cause du vivant pour les vivants dans leur ensemble. A quoi peut bien penser celle qui est désignée par la périphrase « La penseuse » ? Paulette NARDAL est saisie de face, devant sa bibliothèque. Son visage pensif – presque soucieux – est tourné vers nous. Ce regard est empreint d’une certaine solennité, en témoigne le support choisi parHélène JACOB–une toile de forme ronde ; presqu’un médaillon – de même que par le parti pris esthétique en faveur d’un certain dépouillement (Paulette NARDAL est représentée devant une petite partie de sa bibliothèque) Ce médaillon qui, de manière métonymique, résume bien la destinée de cette femme qui a joué un rôle essentiel dans la promotion desLettres antillaises…Autant d’éléments qui font ressortir l’humilité de cette grande femme de lettres qui, à un âge avancé de sa vie, préfère la discrétion, la retenue ; une proximité discrète avec celui ou celle qui s’approche de son univers intime.
Eugénie EBOUE-TELL et Gerty ARCHIMEDE sont représentées alors qu’elles sont côte à
côte. Deux visages sobres s’offrent ainsi à nos yeux ; rehaussés, par ailleurs, par des
vêtements qui le sont également.
Apprécions ce bleu et ce violet qui confèrent à l’ensemble construit par ces deux femmes une impression de profondeur.
Les cheveux blancs qui s’échappent de la coiffe violette de Gerty ARCHIMEDE, illustrent symboliquement la présence d’une femme – encore jeune – marquée par la vie. Une femme qui, par là même, parvient à une certaine gravité solennelle ; à une certaine beauté sombre ou sereine (une certaine sagesse ?)
Et le bijou porté par l’autre femme (sans doute Eugénie EBOUE-TELL), n’émane-t-il pas de lui une sorte de lueur argentée contribuant à « éclairer » – à rendre visible ? – ces visages féminins ? Notons enfin ces deux regards croisés qui semblent embrasser un parcours de vie déjà effectué ; cela, sans le moindre regret ; sans la moindre appréhension. Ces deux regards au moyen desquels ces deux femmes se rejoignent dans un au-delà d’elles-mêmes.
Changement d’univers avec le portrait de la chanteuse Charvela VARGAS. Un univers plus bariolé dans lequel elle a baigné ; ce qui est symboliquement traduit par les couleurs de son vêtement. L’inventivité et la créativité de Charvela sont figurées à travers ces pièces de puzzle que l’on observe sur son épaule gauche…Pièces de puzzle qui, de manière métonymique, évoquent en effet les multiples compositions ; les multiples apports…Toutes ces initiatives prises dans le but de faire entendre une voix – sa voix – de renouveler le genre dans lequel elle excellait.
D’autres éléments prennent une charge symbolique manifeste. Le visage, tout d’abord, avec cet air de défi. Le choix d’Hélène JACOB, ensuite, de représenter cette femme dans un espace où elle est visiblement à l’étroit. C’est à peine si l’on y distingue sa guitare. Pourtant, c’est précisément cette étroitesse de l’espace qui laisse deviner (en même temps qu’elle la restitue) la force de caractère de cette femme, prête à s’engager dans les défis professionnels et artistiques ; avec les risques qui y sont attachés…Cette femme qui semble sur le point de s’extraire violemment de cette toile. Et que dire de sa chevelure, si ce n’est qu’elle s’impose comme un concentré de mystère ? Ce mystère qui est sans doute celui de la création, du talent et par lequel l’artiste se démarque précisément.
Quintessence aristocratique de la féminité : voilà ce qui émane du portrait de Veronica FRANCO, désignée à travers la périphrase « Honnête courtisane ». L’élément frappant qui se dégage du visage de cette femme poétesse et féministe du 16ème siècle est le fait qu’il occulte presque la ville placée en arrière-plan ; qu’il la domine, même. Est-ce une manière, pour Hélène JACOB, de suggérer que cette femme est la maîtresse des lieux ? Serait-ce une manière de la réhabiliter ; de lui donner la « visibilité » qui lui a si souvent été refusée ? Force est de constater, en tout cas, que ce grand visage (visible nettement), encadré de couleurs de feu (au niveau des cheveux et des vêtements), rehaussé, qui plus est, par deux yeux bleus nous regardant sans ciller, impose une beauté aristocratique…Une manière de prendre une revanche sur une société qui l’a souvent reléguée au second plan. Le cou de cette femme s’impose également à nous dans la mesure où il semble « meurtri ». Un cou qui, même « meurtri », est entouré par un collier doré, le rehaussant (lui donnant du prix) et lui apportant une touche féminine sensuelle. Un cou, surtout, qui est riche de la parole poétesse ; cette parole lyrique – un peu douloureuse – au moyen de laquelle la femme de Lettres fait entendre une autre voix, invitant à la sensibilité et à la réflexion. Une voix que l’on entend…malgré tout et qui assure une « forte » présence, symbolisée par ce « grand » cou.
Le portrait de Maya ANGELOU s’impose ensuite à nos yeux. Un visage auréolé de bleu et de blanc, faisant ressortir d’emblée la détermination, la rage de vivre et de se battre. Est-ce une sorte de balafre que nous observons sur la joue droite ? En tout état de cause, cette balafre, sous le pinceau d’Hélène JACOB, s’impose comme une veine d’énergie…petite illustration du feu qui la consume à l’intérieur (ce feu de la vie) et qui trouverait sa pleine expression symbolique à travers l’évocation de cette immense coiffe jaune et rouge figurant une sorte de volcan sur le point d’exploser.
Après le portrait de Maya ANGELOU, notre attention se porte sur celui d’Angélina BELOFF, artiste peintre de son état. Lui aussi laisse voir un visage où se reflètent la colère, de même qu’une volonté farouche de soutenir le regard d’autrui. Ce visage dont l’expression est précisément rehaussée par les couleurs sobres qui le parsèment et révèlent l’intériorité de l’artiste peintre représentée. Les couleurs qui parsèment son vêtement, suggèrent symboliquement la présence d’une femme pour qui l’art, précisément, constitue une raison d’être, une deuxième peau, en somme ; le désir frénétique de combler de sens l’univers dans lequel elle évolue.
Nouveau portrait: celui de l’activiste féminine Inna SCHEVTCHENKO. Quelques éléments s’imposent à nous d’emblée dans leur valeur symbolique. Ce focus sur le visage, d’abord…Un visage volontairement saisi dans un espace réduit – l’espace d’un médaillon ? – comme pour mieux faire ressortir l’intensité (presque iconique) de celui-ci. Evoquons, ensuite, cette chevelure d’un blond incandescent, se confondant, d’ailleurs, avec l’un des bords de la toile. Remarquons, enfin, ce qui semble être une blessure au front…blessure portée par ce bleu…lui-même contrecarré tout de suite par le bleu de ces yeux déterminés, regardant malgré tout vers l’avenir.
« Ma Frida » : dernier portrait de femme (celui de Frida KHALO) dont on devine qu’il représente une dimension affective pourHélène JACOB, comme le laisse entendre le possessif « Ma ».
Soulignons simplement ce regard rêveur, presque fuyant…traduisant un attachement à la liberté, indépendamment du regard d’autrui qui serait trop appuyé. Soulignons enfin ce visage apaisé et serein.
Une autre série de portraits présente des femmes anonymes. Des femmes qui imposent et affichent la réalité de leur présence. Parmi les exemples présentés, nous n’en citerons que deux. Cette toile, d’abord, représentant une femme assise…Posture non dénuée d’une certaine sensualité. Mais le plus important est la permanence de cette femme alors que l’univers dans lequel elle évolue se liquéfie et disparaît.
Cette autre toile, enfin, où l’on voit une femme allongée sur son lit et tendant son bras droit en direction de sa commode. Une femme vivant manifestement dans un espace, un univers réduit. Point d’enfermement, toutefois, comme le marque le choix même de la toile : une grande toile, rectangulaire, faisant écho au mouvement du bras qui se détend. Une toile qui semble s’étirer au même rythme des mouvements du corps de cette femme ; comme si elle lui fournissait toute la liberté d’action dont elle a besoin en situation. La charge symbolique est manifeste : la femme ne se laisse pas enfermer et trouve le moyen de conquérir un espace de liberté, d’agrandir son univers à sa guise.
« Les « J » portrait de Jocelyne BEROARD, Joséphine BAKER et Jenny ALPHA
Technique mixte sur toile 70 x 80cm
e »Mère des arbres »
Portrait de Wangarii Maathai
Acrylique sur toile 70 x 70cm
» entre ciel et terre »
Portrait de Valérie THOMAS
Technique mixte sur toile 70 x 70cm
« Femme phénoménale »
Portrait de Maya ANGELOU
Technique mixte sur toile 30 x 30 cm
« Chipko »
Technique mixte sur toile 70 x 70cm
Portrait de Gaura DEVI
« Au combat »
acrylique sur panneau bois Trekell
Portrait de Inna SVETCHNEKO
0 commentaires